
Le « Deuxième sexe » de Simone de Beauvoir est une analyse complète de la question de la Femme dans son passé, son présent et son avenir. Recherches approfondies et brillamment exposées, la démarche de l’auteur est claire et scientifique. C’est du vrai féministe, celui qui comprend réellement la place de la femme et ses enjeux dans ce monde, sans blâmer les hommes, sans se plaindre, sans désigner un soi-disant coupable, mais en décortiquant l’histoire, la psychologie et la société. Elle le publie en 1949, jusqu’ici aucun auteur n’aura écrit un ouvrage aussi complet et juste que ces deux tomes. L’exploit de Simone de Beauvoir est que ses écrits sont encore d’actualité de nos jours, en 2021, et même avant-gardiste. L'œuvre est composée de 2 tomes. Dans le tome 1, S.B s’intéresse à la place de la Femme au cours des siècles. Sa servitude dépend-elle de l’histoire, de la biologie, de sa psychologie, ou de l’homme ? Elle traite toutes les différentes possibilités, de manière chronologique. C’est une analyse « macro » de la femme. Dans le tome 2, elle suit la vie d’une femme, de sa naissance, en passant par l’enfance, l’adolescence, et adulte. Elle fait une analyse « micro », à l’échelle d’une femme dans ce monde. C’est deux différentes prises de perspective se complètent parfaitement pour répondre entièrement à la problématique. Le dernier chapitre est « La femme indépendante », je vous propose un résumé de ce dernier, qui est une très belle conclusion de son travail, que nous pouvons analyser et comprendre indépendamment de l’œuvre entière.

Pendant longtemps la femme fut privée du droit de travail, elle peut désormais travailler depuis des années dans nos sociétés. C’est primordial, la travail est la seule tâche qui peut lui garantir une liberté concrète de l’esprit et une indépendance financière. Elle pourra se construire de manière autonome en tant qu’être humain. Pour ne pas tomber dans les travers du narcissisme de l’amour, elles doivent se lancer cœur et âme dans leurs projets personnels et professionnel puisque les femmes ont été longtemps poussées à n’être que belles, gracieuses, polies pour trouver un bon parti. Le travail est un prérequis pour son accomplissement, or comme pour l’homme, il n’est pas la liberté. Dans le rapport amoureux, l’homme cherche souvent plus un soutien alors que la femme y cherche un but à son existence. Travailler pour se libérer psychologiquement de son amant puis l’inverse la mènera à une quête vaine. Elle s’y perdra. Une femme économiquement parlant égale à l’homme ne sera pas forcément son égal encore sociologiquement et psychologiquement. Pendant des siècles, la femme s’est définie par son potentiel physique, la fusion amoureuse et la richesse de son mari. Elle a vécu la transcendance intellectuelle et financière, la réussite de son époux par procuration. Elle était « objet » et ne s’est pas définit par « la transcendance individuelle » que connait un homme. Le secret du bonheur est la concentration dans l’instant de soi, l’amour de soi, et l’ouverture vers l’extérieur, tout en restant sujet. La définition traditionnelle de la femme rentre en contradiction, car elle fut définie par l’attente, l’objectivisation, et le secours. Aussi son rapport au superficiel est différent : sa mise en beauté fait partie de sa personnalité, due à une société du culte de son image. Elle peut se retrouver diviser car elle se sent dans le devoir de se masculiniser pour atteindre une égalité, or est vraiment possible pour elle ?
Nous sommes ontologiquement à jamais différents entre les hommes et les femmes, et ca ne devrait pas être un problème pour l’accomplissement de chacun et ensemble. Essayer de ressembler à un homme est alors une entreprise vaine et absurde : « En refusant des attributs féminins, on n’acquiert pas des attributs masculin, le travestie ne sera jamais une femme, c’est un travestie ». Ne pas s’y conformer peut nous faire perdre plus de temps et d’énergie. La meilleur issue à ce problème est que les deux partenaires se voient comme des semblables. Les deux doivent avoir de la modestie et de la générosité. Les idées de défaites ou de victoires s’abolissent et l’acte sexuel devient un libre échange.
Du point de vue érotique, la femme indépendante doit faire face aussi un autre défi. Les mentalités évoluent or il reste encore plus difficile pour une femme d’avoir des aventures sans lendemain, à l’égard de sa réputation mais aussi de son rapport avec elle-même. Il y a des raisons rationnelles à cela comme le risque d’avoir un enfant. Aussi, par son éducation et son histoire, la femme recherche une valeur morale autant que physique dans « l’acte amoureux, une sorte de valeur supérieure du fait d’être désirée, révélant plus une fragilité et qu’une force ». Physiologiquement, il semble plus simple pour l’homme d’aborder des rapports sexuels sans affect. Le rapport sexuel est en partie psychologique, et un bon rapport à son identité est primordial. L’aspect de domination doit être perçu d’une manière saine et cela peut être plus difficile au début avec un inconnu : « Elle est fascinée par l’homme qui la cueille comme un fruit ». Il faut aussi souvent attendre l’expérience et l’âge pour comprendre la différence entre l’érotisme et le sentiment. Or, il ne faut pas confondre la femme libre et facile : la facilité signifie absence de contrôle, le contraire même de la liberté. Cette confusion n’aide pas la femme sa quête identitaire sexuelle. La femme recherche souvent la sécurité auprès de l’homme, ce qui la réconcilie souvent avec la domination qu’il peut exercer sur elle. Amoureuse ou naïve, (ou lucide), elle se plait à s’anéantir à ces dominations. « Or, le masochisme n’est pas une croyance stable, dès qu’elle se rendra compte de la faille des hommes à être forts et supérieurs. ». Les deux partenaires doivent se voir comme des semblables. L’acte sexuel devient un libre échange. Dans le chemin de l’égalité, Sartre disait « à moitié victimes, à moitié complices comme tout le monde ». Cette phrase signifie que dans tout rapport de domination- racisme et sexisme- la justice doit rétablir l’ordre et l’équité ; le dominant doit laisser la place pour le dominé d’avoir les même droits que lui et de le considérer comme son égal en appliquant notamment la loi, mais aussi en changeant sa mentalité ; et enfin la victime doit accepter d’être enfin son semblable, en arrêtant de se victimiser. Cette dernière étape est délicate car quand est-ce que la société est parfaitement équitable pour les victimes ? Peut-on réellement faire la paix avec le passé et quand saurons-nous que c’est le bon et juste moment ?

Dans la relation amoureuse, il est plus difficile pour la femme que pour l’homme de considérer l’autre comme son semblable. « L’homme aime souvent la femme dans ses promesses et ses possibilités et la femme l’aime dans sa présence et ses vérités […]. La femme est souvent frustrée ou déçue car l’homme n’apporte souvent que lui-même dans son monde ». Dans la relation amoureuse, la femme recherchera un refuge, elle pourra s’oublier, y chercher un sens ultime, en laissant sa quête personnelle d’individuelle. L’homme, dû à son éducation masculine et patriarcale, gardera toujours en tête son identité en devenir : il paraitra alors plus égoïste, ambitieux, préoccupé et distant de sa compagne. Ce décalage entre les deux conjoints n’a pas lieu au début d’une relation. Au contraire, l’homme est fasciné et la femme savoure l’attention. C’est après qu’elle gère son orgueil : « elles ensevelissent, au secret de leur cœur, une quantité de déceptions, d’humiliations, de regrets, de rancunes, existant aucun équivalent chez l’homme. ». La femme tiraillée voudrait lâcher prise et ne rechercher que le plaisir or ce dernier ne fait que l’attacher encore plus à l’autre. A cela s’ajoute son conflit intérieur entre être investie dans son foyer et de s’investir dans son travail. Pendant des siècles, l’aspect d'être la maitresse du foyer et le support affectif de son mari ont crée le destin de la Femme. Il est alors logique qu’elle se sente encore responsable de cette mission. Elle joue un double rôle : le devoir de supporter l’homme qu’elle aime dans sa construction personnelle, et aussi de se concentrer sur la sienne. Elle laisse inconsciemment à l’homme la première place, et ce dernier ne lui rend pas la pareil du fait qu’il est plus égoïste. Rare sont les femmes qui arrivent a établir un libre rapport dans leur relation, en considérant l’autre comme son égal et non son sauveur existentiel. Elle doit tuer le mythe du refuge de l’amour.
Personnellement, la femme sera plus dispersée, plus incertaine, et moins entreprenante. Elle s’investira, comme l’homme, or elle a plus de risque de tendre vers l’abandon, alors qu’elle cherche à se suffire, elle est démoralisée. En se comparant à l’homme, elle doute encore plus de son émancipation. Le pire des cas est le complexe d’infériorité. De plus, sa féminité lui fait douter de ses chances professionnelles. « Pour une femme ce n’est déjà pas si mal » se dit-elle, et lui dit la société. Il est alors courant de les voir se sous-estimer dans leur travail. Notamment, cet aspect explique en partie pourquoi les femmes gagnent moins que les hommes, étant moins féroces et sûres d’elles dans les négociations salariales. Nous revenons à la troisième phase de l’abolition de la discrimination envers les femmes, où la femme ne doit plus se victimiser et agir comme égal à son collègue masculin : « Ainsi, elle se gonfle de vanité. Ce qui manque à la femme d’aujourd’hui c’est l’oubli de soi, or pour le faire il faut s’être trouvée. La femme est encore trop occupée à se chercher. »

Nous trouvons des femmes à succès, notamment dans en tant qu’actrices, mannequins et, surtout de nos jours, « influenceuses beauté ». Le but professionnel semble plus naturel pour elle, car leur carrière nourrit leur narcissisme, leur beauté… elle semble moins en contradiction avec leur identité féminine. Or, elles sont quand même rarement considérées comme des génies et « le monde devient leur scène pour leur narcissisme. ». Les autres femmes vont entreprendre leurs passions ou tenter de nouvelles activités. Or, cela sert à combler leur vide existentiel, elles se veulent seulement amatrices , et ne recherchent pas la grandeur et la technique, en persévérant. « Comme pendant son enfance, on lui a apprit à plaire, on lui a apprit donc à tricher. Elles espèrent se tirer d’affaire avec quelques ruses : la femme joue à travailler, elle croit aux vertus magiques de la passivité. ». Elles attendent que le succès vienne, elles redoutent l’échec, et ne se lance pas dans la conquête, avec ses hauts et ses bas, de ses aspirations profondes et ambitieuses. Elles restent dans la séduisante oisiveté, tout en jouant de leur charmes. Elles veulent devenir autre, alors que son homologue masculin veut devenir quelqu’un : « le narcissisme de la femme au lieu de l’enrichir l’appauvrit : à force de ne rien faire d’autre que de se contempler, elle s’anéantit ». L’oubli de soi et la contemplation du monde est primordial à la création, connu par tous les grands artistes. Les hommes, ancrés plus rationnellement dans ce monde, pensent que ce dernier est un terrain de jeu, fait pour eux, donc sont plus poussés à l’audace et assumer l’échec de ne pas plaire. De plus, lorsqu’elles sont dans le monde de la raison, elle pourra devenir une très bonne théoricienne mais elles se tiendront à une rigueur parfaite, par peur de contredire ses semblables masculins : « sa raisonnable modestie donne des limites au talent féminin. »
Même lorsque la femme se rend compte de sa condition et de ses défauts, être lucide est déjà beaucoup pour elle, à tort. Il faut qu’elle se laisse émerger dans une souveraine solitude, absente de l’espoir d’un sauveur masculin ; elle doit faire l’apprentissage de son délaissement et de sa transcendance. Elle peut se sentir seule dans ce monde mais elle ne se dresse que peu souvent face à lui de manière unique et souveraine. « C’est la solitude qui a permis à Emilie Brontë d’écrire son livre, face à elle-même. La femme ne se sent pas responsable de l’univers, voilà la profonde raison de sa médiocrité. Les grands hommes ont changé le monde car ils ont assumé ce fardeau ».
Pour conclure, Simone de Beauvoir démontre que c’est la situation historique et non l’essence naturel féminin qui explique les limites de la femmes pendant des siècles. Encore aujourd’hui, dans les civilisations occidentales, où hommes et femmes sont "normalement" égaux, elle n’arrive pas encore à s’affirmer comme son semblable, tout en préservant sa différence, qu'elle devrait voir comme une force. Les mouvements féministes n’ont jamais autant jailli dans la sphère sociale. La femme indépendante décrite par de Beauvoir est encore en construction, des deux côtés des sexes opposés. Beauvoir assure que l’avenir est grand pour elle. Le monde des idées est tout autant à leur portée. Nous devons les laisser exister avant d’essayer de justifier cette existence dans le monde des hommes. En 1949, la parution du Deuxième Sexe annonçait la renaissance de la femme libre. Soixante ans après, les femmes conquirent de plus en plus le monde, le changement est lent mais sûr. Les écrits de Beauvoir apparaissent alors comme le fondement de cette rupture sociologique, indispensable de connaître pour comprendre et mener à bien le destin moderne de la Femme : « « Les poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme- jusqu’ici abominable- lui ayant donné son renvoi, elle sera poète elle aussi ! La femme trouvera l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils les nôtres ? Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses, nous les prendrons, nous les comprendrons ».
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