L'Amitié - Cicéron

Publié le 5 mai 2021 à 00:09

          Cicéron vient de perdre un ami proche, et digne d’un philosophe et d’un grand orateur, il puise de sa peine pour écrire un traité sur l’Amitié, de quoi faire un bel hommage à son ami et à la vie, même dans ses pires moments. Pour Cicéron, l’amitié tient au sacré, il est un lien hors norme puisqu’à la différence des liens du sang, le titre d’ami ne dépend que du dévouement de ce dernier : « sans le dévouement, le mot amitié lui-même, perdrait tout son sens, pas le nom parenté » ( même si nos parentés peuvent souvent être nos amis les plus fidèles car transcendés par les liens familiaux). Nous pouvons changer d’ami, sans contraintes sociales ni obligations morales, ce qui rend la longévité d’une amitié si exceptionnelle et belle. Cicéron explique cette relation qui est une entente sur le sens et la divinité de la vie, mêlée à une affection qui la caractérise. Il ira jusqu’à écrire « Je me demande, si à part la sagesse, les dieux ont donnés aux hommes quelque chose de meilleure ». Que serait un monde sans un ami ? Comme dira des siècles plus tard Anaïs Nin, « chaque ami représente un monde en nous, un monde qui n'aurait peut-être jamais existé sans lui et que cette rencontre a rendu possible ». Je rajouterai que l’ami rend réel notre monde en nous. Se confier à une personne que nous aurions choisi par confiance permet d’exotériser nos pensées, d’exister encore plus intensément. L’échange amicale est souvent passif, descriptif et semblent peu impactant, or en se révélant à l’autre, nous nous révélons à nous-même, d’une unique manière, qui ne serait possible seul, devant son miroir. Ce sont les spectateurs de nos vies, assis dans les meilleures loges. Qu’est-ce une représentation théâtrale sans public ? Chaque acteur de la grande comédie de la vie a besoin d’un auditoire fidèle et bienveillant.

          Pour revenir au traité, Cicéron nous dit « Sans vertu, point d’amitié possible ». Qu’est-ce la vertu ? André Compte Sponville la définit « comme l’effort pour bien se conduire, qui définit le bien dans cet effort même ». Un bon ami est celui à l’écoute, qui comprend, qui conseille, qui est tout simplement empathique, loyale et fidèle à l’autre. Tolérant, simple, fidèle, généreux, compatissant…. Tous ces traits de caractères sont des vertus et définissent aussi un vrai ami lorsqu’elles s’appliquent envers un autre. Nous nous rendons compte à ce stade à tel point il est rare de trouver une véritable amitié, car elle est totale. Cicéron dira que lorsque nous l’avons trouvée, ne serait-ce qu’une, « elle rend le bonheur, plus éclatant, et le malheur plus léger parce qu’elle permet d’en partager le poids ». Cette phrase résume à la perfection la beauté pure de l’Amitié. Il est celui qui aidera sans attendre aucun retour, un baume, léger et invisible, à l’existence. En effet, une dimension indispensable à cette relation est qu’elle n’est en aucun cas un calcul intéressé : nous ne sommes pas amis pour soi mais pour l’autre, et la réciprocité créait l’équilibre parfait de ses effets. Ainsi, comme l’ami n’attend rien de l’autre, plus il a confiance en lui, plus il est vertueux, « plus il excellera en amitié ». Le schéma de l’amitié est le suivant : naissance d’un dévouement envers l’autre, reconnaissance réciproque de la vertu de chacun, sublimé par un élan du cœur, créant des avantages inattendus. Les retours bénéfiques ne sont pas la cause mais la conséquence. Alors, l’amitié est ce doux mélange entre le dévouement et la vertu : « Observons donc en amitié, cette loi sacrée, n’exigeons jamais rien n’acceptons jamais rien de déshonorant ». La magie de l’amitié réside dans le fait qu’il y a aucune volonté d’utilité rationnelle et matérialiste dans sa recherche :« Ce qui nous charme ce ne sont pas les profits qu’un ami peut nous apporter, c’est l’affection elle-même ». Dans un monde consumériste et égoïste, elle semble être une denrée rare. Le profit n’est pas la source mais la conséquence. A la différence de la relation amoureuse, en amitié, nous craignons largement moins de perdre, ni de trop s’investir, il n’est ni question de lassitude… Au contraire elle se bonifie avec le temps !

           Bien sûr, il existe de vraies amitié auxquelles nous devons nous séparer, se détacher doucement et sûrement – « Rien n’est plus honteux de partir en guerre contre celui qui fut votre ami » -, car tout le monde change et évolue. Le respect, même à la fin d’une relation, est le lien premier et constant entre les deux amis. L’ami aide l’autre à être plus vertueux, celui qui l’entraine dans des vices n’en ai sûrement pas un, il doit rendre l’autre meilleur. Comment ? « Il donne des conseils sans méchanceté ni rudesse et en reçoit avec patience et bonne humeur ». L’amitié n’est possible alors qu’entre bonnes personnes et c’est pour cela que Cicéron conseille de « juger les gens avant de s’attacher à eux et non le contraire » et de développer en soi sa propre vertu.

 

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